L’espace public : un terrain d’éducation à reconquérir ?

Qui est Clément Rivière ?

Clément Rivière est maître de conférences en sociologie à l’Université de Lille, directeur adjoint du Centre de recherche « Individus, épreuves, sociétés » (CERIES) et corédacteur en chef de la revue Métropolitiques.

Il a publié « Leurs enfants dans la ville. Enquête auprès de parents à Paris et à Milan » (Presses universitaires de Lyon, 2021).

Foyer familial, murs de l’école… En confinant l’enfant à des espaces clos, ne tendons-nous pas à perpétuer une vision étriquée de l’éducation ? Alors qu’est paru, le mois dernier, sur ce sujet le dernier rapport du Conseil d’enfance et de l’adolescence, nous avons interrogé le sociologue Clément Rivière, qui a travaillé sur l’évolution de la place des enfants dans la ville.

Vous écrivez que dans les rues des villes, il y a moins d’enfants ?

C’est en effet l’une des questions auxquelles je me suis intéressé dans mon livre. Leurs enfants dans la ville. Cette évolution est notamment liée à l’apparition et à la diffusion d’un ensemble d’objets et de machines qui facilitent le fait de rester chez soi : la télé, l’ordinateur, les smartphones… Les écrans permettent aujourd’hui aux enfants de passer du temps avec leurs amis – en discutant via les messageries instantanées ou les jeux en ligne – sans pour autant être avec eux physiquement. La diminution du temps passé par les enfants dans les espaces publics, la diminution de leur rayon de mobilité , et le retardement de leur prise d’autonomie en ville a conduit certains sociologues à décrire une « culture de la chambre », qui est probablement sortie encore renforcée par la crise sanitaire de 2020. Les enfants passent moins de temps ensemble dehors, dans un square, un bois, la rue… que la génération de leurs parents. On n’en voit plus beaucoup trainer, vadrouiller, au point que des géographes néerlandais ont proposé de parler d’ « enfants d‘intérieur ». (Lia Karsten et Willem Van Vliet)

Cela vaut pour les garçons comme pour les filles ?

C’est d’autant plus vrai pour les filles, à l’âge de la puberté. Lorsqu’elles sortent, elles ont davantage de consignes à respecter, avec des horaires contraints ou bien une façon de s’habiller à respecter – même dans les familles les plus féministes ou les plus critiques vis-à-vis des normes de genre. Elles sont dans un autre rapport à l’espace public : elles doivent faire attention à leur propre sécurité, parce qu’il est « difficile de faire autrement », encore qu’avec la révolution « me too » et la lumière mise sur le harcèlement de rue, cette question pourrait peut-être évoluer. On est passé d’une époque où la présence non supervisée des enfants dans les espaces publics était perçue comme allant de soi à une époque où ceux-ci ne peuvent plus fréquenter ces espaces que sous certaines conditions.

« On est passé d’une époque où la présence non supervisée des enfants dans les espaces publics était perçue comme allant de soi à une époque où ceux-ci ne peuvent plus fréquenter ces espaces que sous certaines conditions ». Clément Rivière.

Ce sont donc les craintes des parents qui empêchent les enfants d’évoluer librement dans la ville ?

Les parents sont tributaires des représentations de l’enfance et du risque qui ont beaucoup évolué depuis les années 1980. Aujourd’hui les enfants sont davantage perçus comme des êtres fragiles et vulnérables. Ce qui contribue à redéfinir la parentalité : être un « bon parent », c’est protéger son enfant. Il y a la peur des accidents de circulation, mais aussi surtout une inquiétude très forte, alimentée par une montée en visibilité, dans la presse, des faits-divers impliquant des enfants. On se dit qu’ils ne sont pas à l’abri d’une mauvaise rencontre – comme si cela n’existait pas autrefois. Résultat : on trouve cela normal de se méfier des inconnus.

Bien sûr les pratiques des parents divergent en partie en fonction de leur histoire personnelle , de leur origine sociale, etc. Mais aussi des autres parents qu’ils connaissent : pourquoi laisser son enfant seul dehors si les autres ne le font pas ? On a tendance à s’appuyer sur les pratiques de ses pairs – sous peine d’être marginalisés. Les laisser jouer, se débrouiller ou se déplacer sans surveillance, très jeunes, est devenu un marqueur de négligence, voire d’irresponsabilité parentale. Lorsqu’on les interroge, la plupart ont eu des libertés, enfants, qu ils n’accorderaient que très difficilement aujourd’hui à leurs propres enfants. Par exemple : prendre le métro seul à l’âge de 7 ou 8 ans pour traverser la ville. Aujourd’hui, ils trouvent cela trop dangereux ou pensent que leurs enfants ne sont pas capables de se débrouiller dans les transports. Et de fait, ils ne les préparent pas à grandir et à devenir autonomes.

Propos recueillis par Agnès MOREL

> Le rapport du Conseil de l’enfance et de l’adolescence : « Quelle place pour les enfants dans les espaces publics et la nature ?» rapport du Conseil de l’enfance et de l’adolescence du Haut conseil de la famille de l’enfance et de l’âge