Enseignant d’anglais, Jean-Luc BRETON est secrétaire général de l’Association des professeurs de langues vivantes[1]. Une association qui milite pour augmenter le nombre d’heures de cours et pour dédoubler les classes… ce qui n’est pas tout à fait le cas de la réforme du lycée. Il partage avec nous ses inquiétudes concernant l’enseignement proposé en tronc commun et en spécialité « Langues », dès la rentrée prochaine.
En tant qu’enseignant d’anglais, êtes vous confiant dans la réforme du lycée de Jean-Michel Blanquer ?
En Première et en Terminale, les langues feront partie du tronc commun, obligatoire, et pourront être étudiées, à la demande, dans le cadre d’une des 12 spécialités, appelée « Langues, littératures et cultures étrangères et régionales ».
A vrai dire, ce tronc commun, qui prévoit 2h45 de cours en Seconde, 2h15 en Première et 2h en Terminale pour chacune des 2 langues vivantes ne permet pas vraiment d’augmenter le niveau des élèves… alors que nous demandons, à l’APLV, depuis des années, de monter à 3 heures par langue. Mais nous ne sommes pas entendus, sans doute, pour des raisons financières.
Ce qui suscite surtout notre inquiétude aujourd’hui, c’est de constater une diminution des dotations horaires en langues, dans tous les établissements, que l’on peut rapprocher de la diminution, au niveau national, du nombre de postes aux concours de recrutement d’enseignants : or, si l’on ne recrute plus de professeurs, cela risque d’impacter rapidement l’enseignement des langues vivantes non seulement l’anglais, l’espagnol, et l’allemand, mais surtout l’italien, les langues régionales et toutes les autres langues actuellement enseignées !
Par exemple, tous concours confondus, l’Etat recrutera en 2019 25 postes d’enseignants en italien alors qu’on en recrutait une centaine en 2010 : c’est une langue qui fond complètement.
Et pourtant, l’une des douze spécialités possibles concerne les langues vivantes ? Cette spécialité répond-elle à vos attentes ?
D’après ce que nous avons compris, l’objectif de cette réforme était de mieux préparer les lycéens aux études supérieures, en leur proposant des spécialités correspondant au mieux aux différentes filières.
Le problème qui nous apparaît aujourd’hui, c’est que cette spécialité « langues » affiche un programme très ambitieux, très exigeant, qui ne correspond pas forcément au niveau de tous les élèves de Première. Le danger serait de n’y attirer que des jeunes littéraires, qui envisagent des études de langues… en dissuadant tous les autres, qui se diraient alors que « ce n’est pas pour eux ».
Or, nous avons besoin de linguistes, bien sûr, mais également d’ingénieurs ou de commerciaux qui maitrisent d’autres langues, ce qui ne sera pas forcément le cas avec un tronc commun de 2 heures par langue seulement !
A l’APLV, ce que nous demandons, c’est que les programmes soient repris et ouverts en direction de la société contemporaine, des médias, des sciences… car sinon, un jeune qui souhaite intégrer une école de commerce, d’ingénieurs ou de communication sera contraint d’aller chercher ailleurs, ce que l’Education nationale ne peut pas lui apporter. Clairement, c’est un nouveau marché pour le secteur privé.
Pensez-vous que les élèves pourront choisir facilement cette spécialité « langues » ?
Ce qui remonte actuellement à l’APLV, c’est une demande en forte croissance pour la spécialité « anglais », mais beaucoup moins pour l’allemand, l’espagnol, l’italien ou les langues régionales. Ce qui risque d’accroître l’écart existant entre l’enseignement de l’anglais et celui des autres langues… car la spécialité Langues, qui représente 4 heures de cours en Première et 6 heures en Terminale, ne concerne pas deux langues vivantes, mais une seule ! Or qui peut se couper de l’anglais ?
En outre, toutes les langues aujourd’hui enseignées ne seront pas proposées en spécialité : il sera possible de choisir l’anglais, l’allemand, l’espagnol et l’italien, ainsi que 7 langues régionales (occitan…), mais en revanche, il n’y aura ni l’arabe, ni le russe, ni l’hébreu, ni le chinois, ni le japonais… qui peuvent concerner des populations conséquentes.
A l’APLV, nous demandons que toutes les langues soient proposées en spécialité, d’autant que le chinois, l’arabe ou le japonais sont des langues de plus en plus demandées.
Tous les établissements permettent-ils de suivre la spécialité « langues » de son choix ?
Ce qui est compliqué, dans un lycée, c’est de constituer les emplois du temps des enseignants et des élèves. Ce qui fait que, pratiquement dans toutes les académies, les lycées ont finalement proposé aux élèves de Seconde des combinaisons de 2 ou 3 spécialités… plutôt que de les laisser choisir parmi les douze possibles.
Mais ce n’est pas nouveau : ces combinaisons ont été proposées aux élèves cet automne, avant le conseil de classe du Premier trimestre, afin que les établissements puissent prévoir les cours et les dotations horaires correspondantes, pour l’année suivante.
Ce qui signifie qu’il n’y aura pas de changement fondamental à la rentrée prochaine… d’autant que les langues régionales, n’étaient pas, à l’automne dernier, encore concernées par la spécialité « Langues ».
Si la spécialité souhaitée n’est pas disponible dans son lycée, pourra-t-on la suivre ailleurs ?
Il était question en effet de proposer une mutualisation des spécialités, en permettant aux élèves de suivre une spécialité dans un autre lycée, si elle n’était pas proposée dans le sien. Mais cela va être compliqué. Et pas seulement pour une question d’emploi du temps !
A Rennes, par exemple, aucun lycée public ne propose la spécialité en allemand : les lycéens qui souhaitent la suivre doivent alors s’inscrire au CNED… Ce qui n’est pas évident… Non seulement il faut réussir à travailler seul ses cours, or c’est une spécialité assez volumineuse (4 heures en Première, 6 heures en Terminale) et c’est très risqué : l’épreuve est coefficient 16 au bac.
Vous êtes plutôt pessimiste ?
Oui et non, car le ministère de l’Education nationale, et je tiens à le signaler, consulte beaucoup les professeurs de terrain : nous avons rendez-vous à peu près une fois par mois, ce qui est nouveau pour nous.
En revanche, si la réforme vise à atténuer la suprématie de la série S, ce qui nous paraît une intention très noble… la plupart des filières sélectives de l’enseignement supérieur continuent à demander aux candidats de choisir la spécialité mathématiques, qui reste, par conséquent, choisie pour ceux qui veulent se garder le plus de portes ouvertes.
Le cas typique, c’est une jeune élève, brillante, que j’avais en cours, qui voulait devenir enseignante d’espagnol : elle a du céder à la pression de sa famille – et de la société, en choisissant de faire une série S.
Malgré la réforme, il y aura toujours ce dilemme, les jeunes qui choisissent des spécialités qui ne les intéressent pas outre mesure, mais qui ont peur de ne pas faire les bons choix pour leur avenir. Or, lorsqu’on a 15 ans, c’est difficile de savoir ce que l’on aimera faire par la suite…
Quelles sont, à l’APLV, vos revendications pour l’enseignement des langues ?
Ce que nous aimerions, c’est que l’on nous entende, quand nous demandons que toutes les classes, depuis la Sixième jusqu’à la Terminale bénéficient d’un enseignement non de 2 mais de 3 heures par langue.
Cela fait des années que l’on fustige le niveau des élèves français… Mais quand on lit les rapports, comme par exemple le rapport Manes-Taylor[2], on s’aperçoit que si l’on réussit si bien dans les pays Nordiques ou en Estonie, c’est que l’on y apprend les langues de manière plus intense, à raison de 4 ou 5 heures par semaine, et en petit groupe de 15 élèves par classe !
La France a choisi l’enseignement des langues pour tous, ce qui est louable, mais sans se donner les moyens.
On sait que le gouvernement s’est engagé à diminuer le budget des dépenses publiques… mais cela signifie moins d’argent pour l’enseignement. Avec des dotations horaires en baisse, le danger c’est d’enseigner les langues vivantes, en classe entière : or, comment travailler l’oral avec 30, voire 35 élèves ? C’est une perspective qui nous inquiète beaucoup.