On estime aujourd’hui que 5 à 8% des enfants souffrent de dyslexie, dont 1 à 2% à un niveau sévère. En quoi cela affecte leur scolarité ? Est ce possible d’apprendre une autre langue que leur langue maternelle ? Médecin de rééducation, spécialisée dans les troubles du langage et des apprentissages, Michèle Mazeau, qui a travaillé pendant toute sa carrière auprès des enfants souffrant de troubles dys, répond à nos questions.
Qu’est ce qui dysfonctionne chez un enfant dyslexique ?
La dyslexie, c’est une particularité cérébrale mineure, qui empêche de bien repérer et distinguer des sons qui se ressemblent, ce qui est fondamental pour apprendre à lire et à écrire les langues dites alphabétiques, qui traduisent par écrit les sons de la langue.
Cela affecte souvent les performances dans sa langue maternelle et explique que beaucoup de ces enfants ont eu un retard dans l’acquisition du langage. Ils parlent plus tard, prononcent moins bien…. Ce sont des enfants qui vont, par exemple, longtemps confondre ou mal prononcer des termes comme « cache » et « cage », « vache » et « bâche » ou bien « gâteau » et « cadeau ».
Cela se traduit, dans un second temps, par des difficultés dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, car lorsqu’on a du mal à repérer les sons proches, on ne peut pas traduire correctement à l’écrit. Par exemple, le pronom « je », faut-il l’écrire « je » ou « che » ? Et lorsqu’on le lit, comment cela doit-il se prononcer ?
Ce n’est donc pas une « mode » pour qualifier l’échec scolaire ?
Non, pas du tout ! C’est seulement que nous connaissons mieux les troubles dys depuis 20 ans, grâce aux progrès formidables des neuro-sciences cognitives qui se sont développées dans les années 60.
Cette nouvelle discipline a permis de comprendre que ces troubles dys, dont la dyslexie, n’étaient pas, contrairement à ce qu’on avait pu penser, liés à des déficiences sensorielles ou mentales : les enfants qui en sont atteints sont en bonne santé et ont une intelligence normale.
Il faut rassurer les parents, il existe des troubles de toutes gravités et certains enfants feront même Polytechnique ! Ils ne sont pas causés non plus par des troubles psychiatriques ou psychiques… Soyons clair : c’est une pathologie du développement neurologique.
En connaît-on la cause ?
Non, on ne sait pas précisément. Les recherches les plus avancées pointent, pour la dyslexie, une cause génétique.
Ce qu’ont permis de comprendre les neuro-sciences, c’est que ce trouble est lié à des particularités dans le développement de certaines aires cérébrales, dès la conception ou pendant la grossesse ou lors du premier développement du bébé, qui vont nuire au bon développement de cet apprentissage.
Une ou plusieurs fonctions cérébrales liées à l’apprentissage de la lecture ne se développent pas tout à fait comme il faudrait. Contrairement à ce que l’on avait cru jusqu’à la fin du 20e siècle, le bébé ne nait pas avec un cerveau complétement vierge, mais avec des compétences cognitives bien organisées: il est préparé à apprendre à parler, se mettre debout, à additionner 1 et 1, etc.
S’il souffre d’un trouble dys, c’est que l’un de ses réseaux neuronaux est plus ou moins défaillant ou atypique.. Son fonctionnement est perturbé. En schématisant, cela explique qu’un enfant dyslexique, même s’il est très intelligent, sera incapable d’apprendre que « b » et « a » font « ba », ou du moins de l’automatiser suffisamment pour pouvoir lire avec efficacité.
En outre, la dyslexie s’accompagne aussi presque toujours d’une dysorthographie assez rebelle.
Apprendre une autre langue leur est impossible ?
La dyslexie, ce n’est pas toujours dramatique. Il y a toutes sortes de gravités, des enfants qui ne lisent pas du tout à 15 ans, mais d’autres qui à 8 ans, lisent plus lentement que leurs camarades, mais progresseront au fur et à mesure, grâce à des séances de rééducation.
Bien sûr, l’apprentissage d’une deuxième langue, en plus de leur langue maternelle, est compliqué… Pensez qu’ils gardent des difficultés pour lire et écrire dans leur propre langue, leur langue maternelle, alors même qu’ils ont l’expérience de milliers d’heures d’écoute et de lecture !
Y a t il des langues plus faciles que d’autres ?
Le français est certes une langue très irrégulière et donc difficile mais il y a pire : l’anglais, qui est une langue très opaque, sans aucune régularité, ni transparence entre ce que l’on entend et ce que l’on écrit. Cela complique déjà la tâche pour un élève classique, alors, imaginez pour un enfant dyslexique ! Certains y arrivent, à force d’immenses efforts, d’autres moins. Ce qui peut être très difficile à vivre, parce que l’anglais est quasiment obligatoire aujourd’hui, même, quand on ne fait pas des études littéraires.
Ce que l’on peut conseiller, c’est de proposer une deuxième langue plus régulière comme l’italien, l’espagnol ou bien l’allemand. L’allemand peut paraître compliqué, encore que la grammaire s’apprend bien, mais elle est relativement transparente en ce qui concerne les correspondances entre l’oral et l’écrit. Ce qui gênera moins.
On sait d’ailleurs qu’il est plus facile, pour un dyslexique, de vivre en Finlande car le finnois est une langue très régulière, qu’en Grande-Bretagne !
Y a t – il des méthodes pédagogiques à privilégier ?
Oui ! Il existe aujourd’hui, grosso modo, deux types d’apprentissage des langues : l’immersion, où l’apprentissage se fait à force d’écouter puis de répéter. La deuxième méthode est la méthode dite « explicite », qui consiste à expliquer clairement les règles, à pratiquer et en cas d’erreur, à reprendre et donner le bon modèle immédiatement et systématiquement.
Les élèves dyslexiques, dont le cerveau fonctionne différemment, ne peuvent pas se débrouiller seuls, ni se corriger d’eux mêmes : clairement, l’immersion seule ne fonctionne pas. Il faut au contraire tout leur expliquer et leur demander d’apprendre par cœur des listes de mots, comme on apprendrait des dates d’histoire ou des tables de multiplication. Par exemple, en anglais : des listes de mots où « ee » se prononcent « i » et des listes d’exceptions.
Quelle est l’attitude de l’Education nationale à leur égard ?
Bien sûr, les parents peuvent trouver des enseignants formés, attentifs, bienveillants, qui comprennent la problématique de leur enfant et le soutiennent… mais c’est au cas par cas. Tout dépend de l’enseignant avec qui il sera en classe.
La réalité, c’est que les enseignants connaissent encore mal la dyslexie. Cela ne fait pas vraiment partie de leur formation. Au mieux, les Espé, qui remplacent les IUFM et forment les professeurs des écoles, peuvent organiser une conférence de quelques heures mais cela sera souvent la seule fois où la dyslexie sera abordée sur un cursus de deux ans.
En revanche, ce qui est positif, c’est que de plus en plus d’enseignants nous contactent, notamment en langues, souvent parce que l’un de leurs propres enfants présente ce trouble, pour s’informer et travailler différemment.
On peut aussi penser que cela va évoluer, puisque le ministère de l’Education Nationale a mis en place un nouveau Comité scientifique, dirigé par Stanislas Dehaene, spécialiste en neuro-sciences, dont un des groupes de travail est consacré à la scolarité des jeunes avec handicap: espérons qu’il s’empare un jour de ce thème !
Que peuvent mettre en place les enseignants ?
Lorsqu’on signale ce trouble à la MDPH (maison départementale des personnes handicapées), l’élève peut bénéficier d’aménagements adaptés lors des examens : il pourra par exemple être dispensé d’une partie des épreuves du bac, pour ne passer que l’oral ou que l’écrit, selon les cas.
Surtout, il peut demander à bénéficier, tout au long de sa scolarité, de compensations, c’est à dire d’outils spécifiques, comme une tablette ou un portable équipé de logiciels lui permettant de lire ou de traduire les textes dans toutes les langues.
En alliant rééducation avec un orthophoniste, méthodes explicites et outils numériques, on peut faire en sorte, aujourd’hui, que ces enfants reprennent confiance en eux. Bien que cela n’efface pas leurs difficultés, ils ne sont plus voués à l’échec scolaire.
Pour en savoir plus :
Le site de Michele MAZEAU et le site de l’Education Nationale.
A lire :
- « Mieux comprendre les Dys, de leur émergence aux neurosciences », de Michèle Mazeau, paru en 2017, éditions TOM POUSSE
- « Difficultés de langage oral, et si c’était un trouble Dys ? », Arnaud Roy, Michèle Mazeau et Vincent Lodenos, paru en 2017, éditions RETZ
- 100 idées pour venir en aide aux élèves dysorthographiques, Monique Toutin, éd. Tom Pousse
- Merci la dyslexie, L.Halloy & A.C. Jamard, 2018, éd. Atzéo
Propos recueillis par Agnès MOREL