Au lycée Léon Blum de Créteil, on propose des voyages scolaires toute l’année. Une activité pas évidente, quand on est en REP… mais qui s’avère payante. Enseignante en histoire des arts, depuis une quinzaine d’années, Fanny GAYON part ainsi tous les ans avec ses élèves. Elle nous en parle.
Le voyage scolaire, en quoi est-ce important ?
Quelque soit la destination, pour les élèves, partir en voyage scolaire est toujours un moment important. En histoire de l’art, nous le concevons comme une immersion dans l’histoire artistique et culturelle d’une ville. Nous choisissons un thème qui correspond à leur programme scolaire : par exemple « l’art nouveau » pour les élèves de Terminales, « l’art et le sacré » pour les Secondes, l’an dernier, à Barcelone. Et bien avant le départ, nous préparons en classe toutes les visites que nous ferons : les monuments, les œuvres dans les musées, les visites urbaines… Lorsque, une fois sur place, ils découvrent les œuvres, « pour de vrai », c’est toujours un moment d’émerveillement. Et pour nous, enseignants, c’est un réel plaisir, d’autant que ce n’est pas toujours facile de les faire partir…
Pourquoi ? Parce que cela coûte trop cher ?
Dans notre lycée, certaines familles sont très justes financièrement, mais comme nous considérons le voyage comme un élément du parcours scolaire… il importe d’emmener tout le monde. Le lycée les aide donc à monter leur dossier : il existe différentes aides, comme celle de la ville de Créteil, assez généreuse, et le lycée lui-même peut leur donner un coup de main. Et puis, les paiements peuvent être étalés. De notre côté, nous faisons en sorte de proposer un tarif très bas, pour que le voyage soit accessible à tous. Bien sûr, cela veut dire que nous limitons les dépenses : l’an dernier par exemple, nous avons réussi à emmener 60 élèves sur trois jours à Barcelone, en choisissant de voyager en car, de loger en auberge de jeunesse et d’animer nous-même les visites : le parc Guell, la Casa Mila, le musée d’art…. Mais il faut souvent parlementer.
Les élèves ne sont pas partants immédiatement ?
Non, tous n’adhèrent pas spontanément au projet. Pourquoi ? Sans doute par manque de curiosité, par peur de l’inconnu, par crainte de ne pas savoir ce qu’ils vont manger ou avec qui ils vont partager leur intimité… car l’adolescence est un âge compliqué. Beaucoup n’ont pas la possibilité de partir en vacances et vivre quelques jours en groupe, loin du cocon familial, paraît très difficile. D’autant que les familles sont inquiètes : les chambres seront elles mixtes ? Vont ils marcher toute la journée ? Et s’il y avait un accident ou un attentat ? C’est une expérience dont les jeunes reviennent très heureux, mais qui, souvent, effraie. Chaque année, il y a des élèves avec qui il faut longuement parlementer et à qui il faut longtemps expliquer en quoi c’est bénéfique.
Et en tant qu’enseignant, vous restez motivés ?
Oui, nous sommes une petite équipe de 6 enseignants très motivés ! Nous choisissons la destination ensemble, nous préparons tout ensemble… Bien sûr, ce n’est pas de tout repos : en voyage scolaire, nous sommes sur le pont toute la journée et le soir il faut parfois « faire la police », mais cela fait partie du voyage. A chaque fois que nous partons, il y a une petite inquiétude : est ce que tout va bien se passer ? est ce qu’il n’y aura pas de pépin ? Il y en a toujours un qui vomit dans le car, qui a une allergie, qui se perd…C’est vrai que cela n’est pas toujours simple d’emmener 60 élèves de REP en voyage scolaire, mais nous nous les répartissons en petit groupe de 10, ce qui permet de différencier les parcours en fonction du programme et aussi de créer plus de proximité : c’est plus facile d’analyser et d’échanger en petit groupe devant une œuvre.
Cela a un impact sur votre relation à la classe ?
Oui, le fait de partager tous ces moments ensemble, pendant 4-5 jours, nous sort du contexte habituel du lycée et nourrit une relation différente. Et faire découvrir aux élèves des choses qu’ils ne connaissent pas, c’est toujours un plaisir. Car les emmener en voyage scolaire, c’est leur permettre de découvrir des œuvres en leur ayant donné au préalable des clefs de lecture pour décoder ce qu’ils voient… qui font qu’ils ne se sentent pas comme des visiteurs ordinaires. Et cela les ouvre à la culture. Tous les ans, j’emmène aussi une classe de Première s’immerger dans Paris, par exemple, dans le Paris romantique du 19e siècle. Ce qui est génial, c’est quand deux mois après, les élèves me racontent qu’ils ont emmené leurs parents et que ce sont eux qui les ont guidés ! A 15 ou 16 ans, quand on va en ville, c’est souvent pour faire du shopping, rarement pour visiter et découvrir un nouveau quartier : en tant qu’enseignant, on a le sentiment de donner du sens à leurs visites.
Vous repartez bientôt ?
Quand on revient, on est tellement épuisé, qu’on se dit souvent : « plus jamais » ! Mais nous repartons toujours… cette année, nous irons à Bruxelles et à Bruges ! Humainement et scolairement, pour nous, c’est très important. Pour les élèves, c’est une chance incroyable de sortir de leur quotidien.