Comment vivre au mieux le confinement ? Bruno Humbeeck est psycho-pédagogue et chercheur à l’Université de Mons, en Belgique. Il nous parle de l’impact psychologique du confinement sur les enfants et les ados… comme sur leurs parents.
Le confinement vient d’être prolongé et on sait que cela va durer… Entendre qu’on est en guerre, n’est-ce pas angoissant ? Comment en parler aux enfants ?
Quand les parents comprennent la nécessité de se mettre en quarantaine, ils le transmettent aisément à leurs enfants. Le problème, c’est le discours utilisé. En France, le chef d’Etat a eu un discours très martial : « on est en guerre ».
Et puis le terme « confinement », qui a été utilisé dès le début pour décrire la situation en Chine, a été mal choisi : il évoque une attaque nucléaire. « Mise en quarantaine » aurait été plus simple à utiliser, d’autant que c’est une expression employée dans toutes les pandémies et que cela correspond à un délai assez raisonnable.
Si elles avaient entendu « on va tous se mettre en quarantaine », les familles auraient très bien compris. Mais vous savez, les enfants comprennent très bien comment se propage le virus et la nécessité, pour protéger ceux qu’on aime, de moins les voir pour le moment, comme les grands-parents par exemple.
Au fil des jours, la situation empire… Y a t –il des choses à ne pas dire à ses enfants ? Je pense au décès d’une jeune fille de 16 ans, alors que l’on croyait les enfants en sécurité ?
C’est compliqué. On s’en est servi finalement comme d’un levier pour faire respecter la quarantaine et faire prendre conscience à la population qui se sentait invulnérable, qu’elle ne l’était pas – notamment les adolescents qui continuaient à se voir – et que « finalement, non, cela ne touchait pas uniquement les personnes âgées et fragiles ».
C’est dangereux car cela risque de créer une anxiété généralisée dans la population et de créer une rupture de confiance vis-à-vis des autorités : « ce nouveau discours, n’est-ce pas contradictoire ? ».
D’autant qu’il y a de grandes inégalités territoriales face à la pandémie et aux mesures de confinement : l’interdiction de se promener à plus d’un kilomètre de chez soi n’a pas le même sens si l’on vit en immeuble, en ville et dans un quartier sans espace vert. Le « confinement » peut alors devenir un « enfermement » très nocif.
Très nocif ? ce n’est pas très encourageant…
Mais c’est vrai : l’enfermement peut avoir un effet très nocif pour les adultes comme pour les enfants. C’est l’effet « cachot », décrit par Stéphan King dans son film « Shining ». Imaginez des enfants qui vivent dans 50 m2, sans accès ni à la lumière, ni aux espaces verts… Au delà de 10 ou 15 jours, c’est à devenir fou et il faut absolument prendre l’air et se promener.
Que faire pour éviter le pire ?
Permettre aux familles de sortir voir la lumière, c’est vital. Sinon cela devient un espace fermé, un « territoire » et génère de l’agressivité. Savez-vous que les babouins, en milieu naturel, ne crient pas, contrairement à ce qu’ils font dans leur enclos, au Zoo de Vincennes ? C’est le même phénomène dans une cour de récréation.
Si l’on vit dans un espace fermé, inévitablement, il y aura un délestage progressif, avec des disputes, des cris… une agressivité difficile à contenir. Je le dis : c’est tout à fait normal de ne plus supporter son conjoint ou ses enfants, surtout si l’on vit les uns sur les autres.
Mais on est bien obligé de vivre les uns sur les autres, alors, comment faire ?
Pour se partager l’espace au mieux, il ne faut pas hésiter à généraliser l’usage des casques : cela permet à chacun d’écouter sa musique, sans l’imposer aux autres. Et quand cela est difficile, pour souffler un peu, on peut se réfugier dans un petit lieu à soi… ne serait-ce qu’aux toilettes : depuis le début du confinement, on y passe 4 fois plus de temps qu’auparavant. Et si cela devient trop difficile, penser à faire une téléconsultation avec un professionnel… Nous sommes tous très attentifs en ce moment à la situation des familles.
Et quid des écrans ? Quand on n’a pas de jardin ou pas de temps ?
Même dans un espace réduit, on peut s’ouvrir, notamment via les écrans et les réseaux sociaux : il ne faut pas les interdire ! En Belgique, on a un joueur de foot, Vincent Kompany, qui a grandi avec 4 frères et sœurs, qui a dit il y a quelques jours, sur Twitter : « Même dans un espace réduit, il est possible de penser grand. ».
C’est cela qui est important : continuer à ouvrir l’imaginaire, par tous les moyens. Et c’est tout à fait possible avec des jeux comme World of Warcraft ou bien Assassin’s Creed. Non seulement cela stimule l’imaginaire, mais cela permet de rester en relation avec ses copains, cela donne une respiration.
Vous conseillez aux parents de lâcher un peu sur les interdictions habituelles ?
Oui et je les rassurerai : c’est bien de se préoccuper de ses enfants, même si ce n’est pas « full time ». S’ils s’ennuient, on peut très bien les laisser regarder des dessins animés.
Cette période de quarantaine, c’est l’occasion de lâcher un peu la bride sur les écrans. On sait que passer du temps devant les écrans, ce n’est pas suffisant, mais ce n’est pas dangereux en soi… surtout si on s’en sert comme outil pédagogique. On peut dire à son enfant : très bien, tu peux regarder un dessin animé, mais ensuite, tu me le racontes et on en parle. Cela sera éducatif… tout peut être éducatif !
Pas besoin d’être tout le temps à leurs côtés alors ?
On ne s’en rend pas toujours compte, mais les enfants ne peuvent avoir leurs parents constamment sur le dos et il faut faire diminuer cette pression… Et puis, les enfants ont en eux-mêmes la capacité à gérer le confinement : ils s’occupent très bien dans leur chambre, sans qu’on leur dise quoi faire.
Pour les ados, on parle même de « bed room culture » : même en temps normal, ils vivent dans leur chambre où ils ont tout à disposition : leurs copains, grâce aux réseaux sociaux, leurs jeux, et même, de quoi manger ! Alors que nos propres parents nous disaient « file dans ta chambre », maintenant on dit à nos ados « sors de ta chambre ! ». Par rapport au confinement, ils sont plutôt cools. La chambre est avant tout leur lieu de vie. Et le pire, pour un ado, c’est justement d’être confiné avec ses parent alors qu’il rêverait d’être avec ses copains !
Et quid des devoirs ? Comment s’organiser quand on n’est pas enseignant ?
En France, l’Education nationale s’est bien organisée pour faire continuer l’école et les enfants qui s’en sortiront mieux vivent dans les familles qui réussiront à garder un rythme scolaire. Il n’est pas question, pour les parents, de se substituer aux enseignants, mais juste de se caler sur les horaires de classe (lever, mise au travail, récréation…) et de mettre en place des activités pédagogiques : proposer à son enfant de faire quelque chose, comme lire ou écrire , puis d’y mettre du sens.
Le ludique est toujours pédagogique : j’ai un ami marchand de jouets, qui ne supporte plus les jouets estampillés « Montessori » vendus 4 fois plus cher. Tout est éducatif à condition qu’on lui donne du sens. Vous pouvez très bien autoriser votre ado à regarder une série, s’il vous en parle ensuite ou s’il essaie de construire un épisode lui-même.
Y a-t-il le risque d’être un mauvais parent ? de nuire à l’année scolaire de l’enfant ?
On ne sait pas trop ce qui va se passer pour les vacances de printemps, on ne sait pas combien de temps cela va durer, mais quoi que les parents fassent, c’est bien.
Il faut qu’ils le sachent : s’ils veulent faire des maths avec leur enfant, c’est parfait – à condition bien sûr qu’ils ne s’énervent pas. Si l’enfant veut jouer en ligne ou regarder des dessins animés, ce n’est pas grave.
Il faut absolument, et je passe mon temps à cela, soutenir les parents, tout en leur accordant le droit de souffler, c’est impératif ! Pour tenir dans le temps, les parents ont aussi besoin de souffler, et notamment d’aller se promener, chacun à son tour ou bien ensemble.
Mail de contact : info@cliniquedelaresilience.be
Propos recueillis par Agnès MOREL